Didier Roustide
Détermination de Philanthus triangulum
Parcours dans les méandres d’une clé de détermination.
dimanche 21 janvier 2007
par Didier Roustide


01/07


Article paru originellement le 17 Décembre 2004 sur le forum du Monde des insectes.

Didier Roustide

Index :

 Introduction

 Détermination de la famille

 Détermination du genre

 Détermination de l’espèce

 Conclusion

Introduction

En quoi les insectes sont ils intéressants ?

Certains vous diront que la variété de leurs formes est un émerveillement permanent et il est vrai que beaucoup de papillons diurnes sont d’une grande beauté, même nos papillons indigènes, sans parler des coléoptères qui présentent parfois une carapace rutilante de couleurs métalliques.
D’autres vous parleront de l’immense richesse comportementale qui agite les représentants de cet ordre.
Parmi les différentes familles d’insectes, les hyménoptères sont peut être de ceux dont la variété des mœurs est la plus grande, sans parler de leur complexité.
C’est donc avec grand plaisir que lorsque j’en ai l’occasion, je me penche sur les abeilles et les guêpes qui passent à proximité. Des photos ou petites vidéo viennent illustrer mes observations. Seulement voilà, lorsque l’on veut parler de ce que l’on a vu, il faut savoir de qui l’on parle, sinon cela ne présente pas grande valeur, au moins dans les milieux avertis.

Il faut donc nommer la bête, l’identifier.

L’aspect « systématique » de l’entomologie m’a toujours paru rébarbatif au premier abord (l’image qu’en donne J.H.Fabre dans ses écrits n’est en effet pas très flatteuse).
Une fois que l’on a un certain nombre de photos, peut être accompagnées d’observations intéressantes sur les habitudes de notre sujet, ou tout simplement exposées sur un beau site Internet, on est tenté de vouloir leur donner un nom. Pour les papillons, et encore pas tous loin de là, parfois des photos prises sur le vif peuvent suffire. Mais pour de nombreux autres groupes, mis à part quelques rares insectes emblématiques, souvent les plus gros, des images prises sur le terrain ne suffisent pas pour faire une identification sûre. Il faut ausculter la bête parfois de manière intime pour lui faire dire son nom.
La capture est alors nécessaire et tout le cortège de rites qui va avec, étalage, séchage, étiquetage et conservation.
Parvenu à ce point, pour identifier, il faut soit faire appel au spécialiste local qui peut ne pas être si proche qu’on pourrait le souhaiter, soit réaliser soit même la détermination.
Pour cela il faut la clef qui nous guide sur le chemin binaire et parfois tortueux permettant d’arriver au nom de notre insecte.

Dans certains cas, la clef peut ne pas être suffisante car les termes employés sont parfois qualitatifs et non quantitatifs et il faut alors avoir une référence. Et c’est là que la collection de référence prend toute sa valeur. Avoir des bêtes « étalon », sur lesquelles on peut évaluer ce que « faiblement chagriné » ou d’autres expressions tout aussi vagues (de prime abord) veut dire, permet de comparer avec notre spécimen.

Aujourd’hui je me lance dans une de mes premières déterminations car j’ai tous les éléments me permettant de la mener à bien :

  • la clef des champs de la détermination,
  • le spécimen dûment épinglé,
  • la loupe binoculaire,
  • la webcam qui me permettra de vous emmener avec moi.

Mon objectif principal est de montrer ce qu’est une détermination complète, point par point et image à l’appui.
Débutant j’aurais aimé avoir un tel document entre les mains pour vraiment appréhender ce que cela représente réellement. Cela ne fût pas le cas et j’ai mis longtemps à y venir. Puisse ce petit document démystifier cette activité et permettre au débutant de commencer, même si beaucoup de familles sont plus difficiles que les Philanthes pour lesquels une collection de référence n’est pas nécessaire.

Allons y !

Note [1]

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Détermination

Présentation de la bête

Aspect général :

Philante apivore (Philanthus triangulum)

Cette guêpe a été photographiée sur l’île d’Hoëdic en automne 2004.
Avec un peu d’habitude il semble clairement visible que c’est un Philante apivore. D’autant que le talus colonisé était criblé de trous et que l’érosion mettait à jour d’anciens nids dans lesquels il était facile d’identifier des restes d’abeilles mellifères.

Quoiqu’il en soit, jouons au jeu de l’identification à partir des clefs qui font référence :

  • Faune de France 79 - Hyménoptères Sphecidae d’Europe Occidentale - Volume 1
  • Faune de France 82 - Hyménoptères Sphecidae d’Europe Occidentale - Volume 2

Détermination de la Famille

Nous allons suivre pas à pas les différentes clefs présentes dans les deux volumes de la Faune de France.

Faune de France :

 Segment 1 du gastre de taille réduite, en forme d’écaille plus ou moins aplatie ou nodiforme : le pétiole ; parfois segment II aussi modifié, formant le postpétiole. Antenne généralement coudée après le scape allongé. Ailés ou aptères. Sociaux. Formicidae

Pour commencer, il n’y a pas de pétiole sous forme d’écaille par contre il y a des ailes bien développées, ce qui nous écarte tout de suite des fourmis. En plus bien sûr même s’il y en a toute une bourgade, elles ont toutes leur nid individuel.

Ensuite :

Faune de France :

-3-

  • Lobe pronotal arrondi, n’atteignant pas le bord antérieur de la tegula. Nervation alaire complète ou presque. -4-
  • Bord postéro-latéral du pronotum atteignant ou presque la tegula. Nervation parfois réduite. -5-

L’interprétation correcte de ce point se fait en considérant d’une part que le lobe pronotal est arrondi, très nettement visible sur la figure , et d’autre part que le pronotom en vue de dessus paraît éloigné des tegulae.

Photo 1 : Lobe pronotal - vue d’ensemble

La photo 1 donne une vue d’ensemble de profil avec indication des différentes parties mises en jeu.

Le lobe pronotal n’est pas évident à voir et il faut faire varier l’angle de l’éclairage pour le distinguer. Dans le cas présent une tâche jaune est inscrite exactement à l’intérieur.

Photo 2 : Pronotum par rapport à la tegula - vue de dessus
Photo 3 : Pronotum par rapport à la tegula - vue latérale

Ce que veux dire « n’atteignant pas le bord antérieur de la tegula » semble correspondre à l’opposé de l’autre alternative du même critère soit : « Bord postéro-latéral du pronotum distant du bord antérieur de la tegula » .
Le bord postéro-latéral est indiqué en violet sur les photos 2 et 3. La tegula se trouve détourée en jaune, son bord antérieur se situant à gauche de cette zone détourée.
On remarque donc une certaine distance entre le bord postéro-latéral et le bord antérieur de la tegula.

Il est intéressant de comparer avec un Pompile (Photo 4) qui lui montre un pronotum dont le bord postéro-latéral est à proximité immédiate du bord antérieur de la tegula.

Photo 4 : Pompile Cryptocheilus versicolor - vue latérale

Observons maintenant les ailes :

Photo 5 : Aile antérieure
Nervation alaire
Photo 6 : Cellules submarginales

L’aile possède une nervation complète (3 cellules submarginales)
Pronotum n’atteignant pas le bord antérieur de la tegula (on continue en 4)

Faune de France :

-4-

  • Basitarse 3 plus ou moins allongé et cylindrique, rarement un peu aplati, sans brosse de soies serrées. Corps sans forte pilosité, sans soies plumeuses. gastre sessile ou pétiolé. Sphecidae
  • Basitarse 3 plus ou moins élargi et aplati, muni au dessous d’une brosse de soies serrées. Corps le plus souvent avec une abondante pilosité, certaines soies plumeuses, en particulier sur le thorax. gastre sessile. Apidae
Photo 7 : Basitarse de notre spécimen
Photo 8 : Basitarse 3 - Osmia cornuta

Le basitarse 3 de notre spécimen est résolument cylindrique. De plus aucune brosse de soies serrées n’est visible.

Photo 9 : Soies thorax et abdomen de notre spécimen
Photo 10 : Soies du thorax d’Apis mellifera

Les soies plumeuses sont plus ou moins difficiles à trouver sur Osmia cornuta, par contre elles sont nettes sur Apis mellifera. Je n’en ai pas vues sur notre spécimen.

Arrivés à ce point de la clef, nous pouvons donc considérer que nous avons à faire à un sphecidae. [2]

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Détermination du Genre

Faune de France :

(A) Aile antérieure avec une seule cellule submarginale -1-

(B) Aile antérieure avec deux cellules submarginales -17-

(C) Aile antérieure avec trois cellules submarginales -27-

Photo 11 : Cellules submarginales

Il y a bien trois cellules submarginales. (on va en 27)

Faune de France :

-27-

  • gastre à pétiole généralement long, formé par le sternite 1 seul, parfois suivi d’un postpétiole formé par le tergite 1 allongé -28-
  • gastre non pétiolé ; lorsque le segment 1 est rétréci en avant, cette partie rétrécie est formée par le tergite et le sternite. -41-
Photo 12 : 1er segment du gastre rétréci - formé du Tergite et du Sternite (autre spécimen de Philante vue de profil)
Photo 13 : Sur notre specimen - segment 1 du gastre rétréci et montrant Tergite et Sternite (Disposition des pattes ne permettant pas une vue latérale)

Le pétiole est la partie du gastre (abdomen) connectée au thorax.

La photo 12 montre bien le profil du premier segment d’un Philanthe, où l’on peut voir clairement qu’il est formé d’un tergite et d’un sternite.

La photo 13 est celle de notre spécimen ou la disposition des pattes ne permet pas de faire une vue de profil. Néanmoins, on peut remarque également la présence d’un tergite et d’un sternite.
(on continue en 41)

Photo 14 : Pétiole de Podalonia sp.

Afin de comparer ce que peut être une bête répondant au premier choix du critère, la photo 14 montre le pétiole formé du seul sternite d’un Podalonia sp.

Faune de France :

-41-

  • Deuxième cellule submarginale non pétiolée -42-
  • Deuxième cellule submarginale pétiolée -68-
Photo 15 : Cellule submarginale 2 non pétiolée
Photo 16 : Exemple de cellule submarginale 2 pétiolée

Le pétiole n’est pas présent. (on continue en 42)

Faune de France :

-42-

  • La 2eme cellule submarginale ne reçoit aucune nervure récurrente, la 1ère récurrente n’aboutissant jamais au-delà de l’insertion de la 1ère transverso-cubitale. Segment 1 allongé, rétréci en avant, renflé en arrière, séparé du suivant par une constriction. Des parties jaunes. Genre Mellinus .
  • La 2eme cellule submarginale reçoit au moins une, sinon les deux nervures récurrentes -43-
Photo 17 : Nervures transverso-cubitales et récurrentes

La cellule submarginale 2 reçoit bien une nervure récurrente. (on continue en 43)

Faune de France :

-43-

  • Les deux nervures récurrentes aboutissent, l’une à la 2eme, l’autre à la 3eme cellule submarginale -44-
  • Les deux nervures récurrentes aboutissent à la 2eme cellule submarginale -45-

Nous sommes dans le premier cas. (on va en 44)

Faune de France :

-44-

  • Bord interne des yeux échancré. Corps noir tâché de jaune. Genre Philanthus .
  • Bord interne des yeux non échancré. Antennes insérées sous un lobe frontal aplati. gastre noir, ou noir et rouge. Genre Dolichurus
Photo 18 : Echancrure des yeux

L’échancrure des yeux est bien là !
Dès les premières images le corps nous est apparu jaune et noir.

Nous avons donc à faire au genre Philanthus  !

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Détermination de l’Espèce

Faune de France :

-1-

  • Enclos propodéal entièrement ou en majeure partie ponctué ou réticulé. Dessins clairs du corps jaunes -2-
  • Enclos en majeure partie lisse et brillant, seule une zone longitudinale médiane pontuée ou finement chagrinée. Dessins clairs du corps jaune clair ou blanchâtres -3-
Photo 19 : Enclos propodéal

L’enclos propodéal est clairement entièrement ponctué.
Les dessins clairs sont bien jaune. (on va en 2)

Faune de France :

-2-

  • Enclos propodéal entièrement et densément ponctué. Bord antérieur du clypeus de la femelle avec deux dents émoussées rapprochées. triangulum (Fabricius)
  • Enclos présentant une grande aire réticulée en forme de triangle équilatéral. Bords antérieur du clypeus de la femelle légèrement bisinué, sans dents. [ sculpturatus Gayubo] [3]
Photo 20 : clypeus plus dents émoussées
Photo 21 : Atténuation de l’arrière plan

Enclos propodéal entièrement et densément ponctué.
Les deux dents émoussées sont bien visibles. [4]

Notre spécimen est un Philanthus triangulum .

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Conclusion

Philanthus triangulum est facile à déterminer. Il aura été un support intéressant pour parcourir la clef de détermination dans son ensemble. J’espère que ce modeste document aura un peu démystifié ce qu’est une clé de détermination et que les débutants seront moins impressionnés et rebutés par la systématique, la plus grande difficulté étant d’obtenir cette fameuse clef.
Bien sûr une loupe binoculaire est indispensable pour une bonne pratique de ce sport, d’autant plus que beaucoup de Sphecidae sont nettement plus petits que Philanthus triangulum.

Remerciements

Je tiens à remercier Patrick_B qui a relu ce document et m’a aidé notamment à comprendre le point 3 de la clef de détermination de la famille. Je me suis permis de reproduire certains de ses commentaires sous la forme des trois dernières notes de bas de page.

Bibliographie

1. Faune de France 79 - Hyménoptères Sphecidae d’Europe Occidentale - Volume 1 - Jacques Bitsch, Jean Leclercq - Fédération Française des sociétés de Sciences Naturelles. ISBN 2-9030352-13-1

2. Faune de France 82 - Hyménoptères Sphecidae d’Europe Occidentale - Volume 2 - Jacques Bitsch, Yvan Barbier, Severiano Fernandez Gayubo, Konrad Schmidt, Michael Ohl - Fédération Française des sociétés de Sciences Naturelles. ISBN 2-903052-16-6

Téléchargement :

Ce document est téléchargeable dans son intégralité avec des images de meilleure définition ici (taille environ 900Koctets) :

Identification_Philantus_triangulum.pdf
Document PDF de l’article original.

[1ce document est destiné à être diffusé sur le forum « le Monde des insectes », forum animé par quelques entomologistes chevronnés pour lesquels l’amateur photographe ou autre curieux (de connaitre le nom d’une bête ayant croisé son chemin) est vu comme une personne partageant la même passion et digne d’être guidée.

[2Certains Apidae n’ont pas les caractères décrit pour le basitarse et ne se reconnaissent de façon indubitable que par les soies plumeuses. Toutefois sur des Hyménoptères de cette taille, on peut prendre le risque de s’orienter vers les Sphecidae. Avec un peu d’habitude on distingue les Apidae douteux des Sphecidae, soit par la langue très longue, soit par leur tête allongée et prognathe, soit par une forme générale plus arrondie. Ces caractères ne présentent en aucun cas la certitude donnée par les poils plumeux, mais il faut vraiment une très bonne optique pour distinguer ces derniers.

[3Ajoutons que sculpturatus n’est connu que du sud de l’Espagne : il est extrêmement peu probable de le voir chez nous. Ce qui fait de triangulum le seul Philante de France dont le propodeum soit entièrement mat : C’est visible à l’œil nu !

[4Quand on ne sait pas d’emblée ce que c’est on a toujours intérêt à écarter un peu les mandibules qui sont elles même susceptibles de présenter au bord interne des caractères importants.

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