Benoît Martha
Identification d’un Hyménoptère
Un exemple pas à pas avec Crossocerus elongatulus (Crabronidae)
lundi 18 janvier 2010
par Arthropa

Arthropa - 12/09



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Petit préambule...

L’entomologie est avant tout source de grandes satisfactions, ...et source de grandes frustrations !

Grandes satisfactions, pour le débutant qui découvre émerveillé un univers aux dimensions insoupçonnées, et qui - guide en main - attribue avec aplomb un nom à presque toutes ses rencontres...

Grandes frustrations, quand, ayant progressé un peu, il réalise devant la subtilité et l’ampleur du travail pour bien nommer un insecte (...quand encore c’est possible !) que toutes ses "identifications" sont bonnes à refaire.

Avec un peu de matériel et de documentation, avec beaucoup de patience, les premières énigmes se résolvent doucement, mais la confirmation ou la rectification de nos ainés (souvent également très patients !) reste un moteur essentiel de nos connaissances et de notre motivation.

Cet article était à l’origine un appel à l’aide pour confirmer une identification sur un critère que j’avais du mal à juger. Mais je me suis laissé prendre au jeu de détailler mon raisonnement en l’illustrant de photos des différents critères, et l’article est né. Son objectif est double : d’une part montrer aux "nouveaux tombés-dans-l’entomologie" que mettre un nom sur un insecte nécessite une démarche rigoureuse et quelques connaissances préalables, et d’autre part illustrer une démarche d’identification à l’espèce, telle que nous l’a montrée Didier Roustide dans un précédent article sur Philanthus triangulum.

Vous êtes prêt ? En voiture !

Le spécimen

Voici un aperçu général du spécimen : insecte noir volant non identifié, capturé à Fragnes (F-71) dans un jardin, le 4 juillet 2009. Il mesure 6 à 6.5 mm.

Crossocerus elongatulus
Aperçu général
Photo : Benoit Martha
ref : 52037

Je ne détaillerai pas l’identification de l’ordre (Hymenoptera) ni celle de la famille (Crabronidae), qui est déjà clairement explicitée dans cet article sur Philanthus triangulum.

Pour l’identification, j’ai utilisé la clé publiée par Jacques Beaumont (Fauna Helvetica, 1964). C’est la première fois que je me plongeais dans ce document dont j’ai apprécié la grande clarté et les nombreuses (et précieuses) illustrations.

Voici quelques synonymies de "termes techniques" que vous pouvez rencontrer dans d’autres documents :

  • cellule cubitale = cellule submarginale
  • collare = pronotum
  • impressions frontales = fossettes orbitales

####

Identification du genre

 Une seule cellule cubitale aux ailes antérieures [1]

 Bord interne des yeux non échancrés

 Stigma (en bleu) pas spécialement gros, et pas plus long que la cellule radiale (en rouge)

 Bord interne des yeux convergent vers le clypeus

 Cellule cubitale (en vert) et discoïdale (en orange) séparées par une nervure

 Mandibules bidentées à leur extrémité
(désolé, c’est peu visible sur la photo, mais c’est très net sous la bino !)

 Ocelles disposées en triangle équilatéral

 Premier segment abdominal non pétioliforme

 Abdomen noir, non taché de jaune

 Mésopleures ponctuées

 Face postérieure du propodeum lisse (et très finement sculptée, mais impossible de vous le montrer en photo)

Il s’agit donc du genre Crossocerus.

Il s’agit d’une femelle, comme en atteste l’aire pygidiale nette présente sur le 6e segment abdominal.

Petite pause café...

Avant de continuer, je me suis au préalable assuré que cette clé suisse comprenait les espèces que j’étais susceptible de rencontrer en Saône-et-Loire, en comparant avec les données de Fauna Europaea pour la France. ...Ce qui a nécessité une étape préalable pour établir les synonymes, certains noms ayant changé depuis 1964.

Pour ce qui est des synonymies, voilà ce que j’ai pu reconstituer (Beaumont <-> Fauna Europaea) :

  • C. ambiguus Dahlbom = C. annulipes (Lepeletier & Brullé, 1835)
  • C. pubescens (Shuckard) = C. nigritus (Lepeletier & Brullé, 1835)
  • C. leucostomoides Richards = C. megacephalus (Rossi, 1790)
  • C. confusus (Schulz) = C. binotatus (Lepeletier & Brullé, 1835)

D’après Fauna Europaea toujours, une seule espèce n’est pas intégrée dans le Beaumont (normal, elle a été décrite après 1964 !) : C. guichardi Leclercq, 1972.

Sous réserve de cette espèce et de l’exhaustivité de Fauna Europaea, le Beaumont permet donc d’identifier tout Crossocerus capturé en France métropolitaine. C’est ce que me confirme Patrick : « Pour Crossocerus, il y a à peu près tout. En effet les Crossocerus sont en général des espèces de moyenne montagne, et de nombreuses espèces sont plutôt mieux représentées dans les Alpes et le Jura qu’ailleurs : donc la faune de Suisse en est bien pourvue. »

####

Identification de l’espèce

 Abdomen noir, non taché de jaune

 Aire pygidiale en triangle régulier, plane, ponctuée

 Mésopleure (en rouge) sans pointe en avant des hanches 2 (en bleu)

 Aire pygidiale glabre, à ponctuation plus ou moins espacée

 Bord postérieur du mésonotum (en rouge) avec de courtes stries longitudinales (surlignées en rouge)

 Sillon en avant de l’ocelle antérieure

 Taille de 5 à 6.5 mm

 Face externe du tibia 2 noire avec un petit anneau jaune à la base

 Scutellum (en vert) noir, collare (en bleu) noir ou (ici) avec 2 petites taches blanchâtres

 Aire pygidiale noire

 Impressions frontales...

Les "impressions frontales", ce sont ces zones brillantes marquées en rouge, entre les ocelles postérieurs et les yeux.

Tout l’enjeu est de savoir si elles sont

  • légèrement surélevées - ce qui permettrait de conclure à C. elongatulus
  • ou au même niveau que les régions avoisinantes du dessus de la tête - ce qui définirait C. distinguendus

...malgré un temps "certain" à tourner la bête sous toutes les incidences lumineuses possibles pour essayer d’en avoir le cœur net, je n’ai pas réussi à trancher : ces impressions sont discrètement bombées, mais me paraissent cependant au même niveau que le reste... Et le Beaumont ne mentionne pas d’autre critère sur lequel s’appuyer.

Jusqu’à ce que Patrick me vienne en aide avec ces autres critères distinctifs :

  • Chez distinguendus , les côtés du propodeum sont séparés nettement de la face postérieure par une carène saillante, accompagnée de chaque côté d’une ligne de fovéoles. L’enclos propodéal est complètement entouré d’un sillon crénelé.
  • Chez elongatulus , les côtés du propodeum sont mal séparés de la face postérieure par une vague trace de carène accompagnée de fines strioles transversales. Le sillon crénelé qui limite l’enclos propodéal s’estompe de chaque côté vers l’avant.

 Pas de carène franche qui sépare la face postérieure (en vert) de la face latérale (en rouge) du propodeum

 Le sillon crénelé s’estompe de chaque côté vers l’avant

Et nous voilà donc arrivés à Crossocerus elongatulus (Vander Linden 1829) !

Terminus, tout le monde descend !

Conclusion

Après la grande satisfaction de mettre un nom à tous les insectes dans les premiers temps,

Après la grande frustration de devoir débaptiser ces mêmes insectes quelques temps plus tard,

Vient le temps d’une nouvelle grande satisfaction : celle de remettre un nom précis et fiable sur l’un d’entre eux !

...avant une évolution taxonomique qui viendra à nouveau ébranler les certitudes, mais chut ! Il ne faut pas le dire !

Tel est l’éternel cycle de la vie vue par le trou de la binoculaire !

Post Scriptum :

Un grand merci à Patrick Burguet de Brissay : sans son "aiguillonnage", ce spécimen rejoignait les nombreux Crossocerus sp non identifiés

[1Pour plus d’explications sur les cellules cubitales et les autres, voir l’article : Nervation alaire des Hyménoptères

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