Arthropa - 12/09
Index :
L’entomologie est avant tout source de grandes satisfactions, ...et source de grandes frustrations !
Grandes satisfactions, pour le débutant qui découvre émerveillé un univers aux dimensions insoupçonnées, et qui - guide en main - attribue avec aplomb un nom à presque toutes ses rencontres...
Grandes frustrations, quand, ayant progressé un peu, il réalise devant la subtilité et l’ampleur du travail pour bien nommer un insecte (...quand encore c’est possible !) que toutes ses "identifications" sont bonnes à refaire.
Avec un peu de matériel et de documentation, avec beaucoup de patience, les premières énigmes se résolvent doucement, mais la confirmation ou la rectification de nos ainés (souvent également très patients !) reste un moteur essentiel de nos connaissances et de notre motivation.
Cet article était à l’origine un appel à l’aide pour confirmer une identification sur un critère que j’avais du mal à juger. Mais je me suis laissé prendre au jeu de détailler mon raisonnement en l’illustrant de photos des différents critères, et l’article est né. Son objectif est double : d’une part montrer aux "nouveaux tombés-dans-l’entomologie" que mettre un nom sur un insecte nécessite une démarche rigoureuse et quelques connaissances préalables, et d’autre part illustrer une démarche d’identification à l’espèce, telle que nous l’a montrée Didier Roustide dans un précédent article sur Philanthus triangulum.
Vous êtes prêt ? En voiture !
Voici un aperçu général du spécimen : insecte noir volant non identifié, capturé à Fragnes (F-71) dans un jardin, le 4 juillet 2009. Il mesure 6 à 6.5 mm.
Je ne détaillerai pas l’identification de l’ordre (Hymenoptera) ni celle de la famille (Crabronidae), qui est déjà clairement explicitée dans cet article sur Philanthus triangulum.
Pour l’identification, j’ai utilisé la clé publiée par Jacques Beaumont (Fauna Helvetica, 1964). C’est la première fois que je me plongeais dans ce document dont j’ai apprécié la grande clarté et les nombreuses (et précieuses) illustrations.
Voici quelques synonymies de "termes techniques" que vous pouvez rencontrer dans d’autres documents :
####
– Une seule cellule cubitale aux ailes antérieures [1]
– Bord interne des yeux non échancrés
– Stigma (en bleu) pas spécialement gros, et pas plus long que la cellule radiale (en rouge)
– Bord interne des yeux convergent vers le clypeus
– Cellule cubitale (en vert) et discoïdale (en orange) séparées par une nervure
– Mandibules bidentées à leur extrémité
(désolé, c’est peu visible sur la photo, mais c’est très net sous la bino !)
– Ocelles disposées en triangle équilatéral
– Premier segment abdominal non pétioliforme
– Abdomen noir, non taché de jaune
– Mésopleures ponctuées
– Face postérieure du propodeum lisse (et très finement sculptée, mais impossible de vous le montrer en photo)
Il s’agit donc du genre Crossocerus.
Il s’agit d’une femelle, comme en atteste l’aire pygidiale nette présente sur le 6e segment abdominal.
Avant de continuer, je me suis au préalable assuré que cette clé suisse comprenait les espèces que j’étais susceptible de rencontrer en Saône-et-Loire, en comparant avec les données de Fauna Europaea pour la France. ...Ce qui a nécessité une étape préalable pour établir les synonymes, certains noms ayant changé depuis 1964.
Pour ce qui est des synonymies, voilà ce que j’ai pu reconstituer (Beaumont <-> Fauna Europaea) :
D’après Fauna Europaea toujours, une seule espèce n’est pas intégrée dans le Beaumont (normal, elle a été décrite après 1964 !) : C. guichardi Leclercq, 1972.
Sous réserve de cette espèce et de l’exhaustivité de Fauna Europaea, le Beaumont permet donc d’identifier tout Crossocerus capturé en France métropolitaine. C’est ce que me confirme Patrick : « Pour Crossocerus, il y a à peu près tout. En effet les Crossocerus sont en général des espèces de moyenne montagne, et de nombreuses espèces sont plutôt mieux représentées dans les Alpes et le Jura qu’ailleurs : donc la faune de Suisse en est bien pourvue. »
####
– Abdomen noir, non taché de jaune
– Aire pygidiale en triangle régulier, plane, ponctuée
– Mésopleure (en rouge) sans pointe en avant des hanches 2 (en bleu)
– Aire pygidiale glabre, à ponctuation plus ou moins espacée
– Bord postérieur du mésonotum (en rouge) avec de courtes stries longitudinales (surlignées en rouge)
– Sillon en avant de l’ocelle antérieure
– Taille de 5 à 6.5 mm
– Face externe du tibia 2 noire avec un petit anneau jaune à la base
– Scutellum (en vert) noir, collare (en bleu) noir ou (ici) avec 2 petites taches blanchâtres
– Aire pygidiale noire
– Impressions frontales...
Les "impressions frontales", ce sont ces zones brillantes marquées en rouge, entre les ocelles postérieurs et les yeux.
Tout l’enjeu est de savoir si elles sont
...malgré un temps "certain" à tourner la bête sous toutes les incidences lumineuses possibles pour essayer d’en avoir le cœur net, je n’ai pas réussi à trancher : ces impressions sont discrètement bombées, mais me paraissent cependant au même niveau que le reste... Et le Beaumont ne mentionne pas d’autre critère sur lequel s’appuyer.
Jusqu’à ce que Patrick me vienne en aide avec ces autres critères distinctifs :
– Pas de carène franche qui sépare la face postérieure (en vert) de la face latérale (en rouge) du propodeum
– Le sillon crénelé s’estompe de chaque côté vers l’avant
Et nous voilà donc arrivés à Crossocerus elongatulus (Vander Linden 1829) !
Terminus, tout le monde descend !
Après la grande satisfaction de mettre un nom à tous les insectes dans les premiers temps,
Après la grande frustration de devoir débaptiser ces mêmes insectes quelques temps plus tard,
Vient le temps d’une nouvelle grande satisfaction : celle de remettre un nom précis et fiable sur l’un d’entre eux !
...avant une évolution taxonomique qui viendra à nouveau ébranler les certitudes, mais chut ! Il ne faut pas le dire !
Tel est l’éternel cycle de la vie vue par le trou de la binoculaire !
Un grand merci à Patrick Burguet de Brissay : sans son "aiguillonnage", ce spécimen rejoignait les nombreux Crossocerus sp non identifiés
[1] Pour plus d’explications sur les cellules cubitales et les autres, voir l’article : Nervation alaire des Hyménoptères
Date | Nom | Sites Web | Message |