Unique survivant de faunes révolues et depuis longtemps disparues, l’Alexanor n’a pas de parents proches. Il est isolé dans la classification, et ne s’hybride avec aucune autre espèce.
Sa qualité de fossile vivant ne l’empêche pas d’être vigoureux et de faire preuve d’un dynamisme étonnant.
En France, il est cantonné dans les montagnes du sud est, surtout de 400m à 1500m.
Dans l’arrière pays toulonnais, la sous-espèce bien caractérisée P. alexanor Destelensis vole même à plus basse altitude, mais la disparition de ses biotopes par l’afforestation ou l’urbanisme a réduit de façon drastique ses effectifs.
Comme bon nombre d’espèces protégées, il n’a qu’une seule génération annuelle au début de l’été.
Le grand ami de l’Alexanor, c’est la DDE. Au moins dans un premier temps. Il n’est pas de routes aux bas cotés régulièrement décapés, ni de carrières en pleine exploitation, ni de lieux divers altérés par l’homme, qui ne lui soient favorables.
On l’aura compris, l’Alexanor est un papillon de milieu dégradé. Il suit en cela les préférences de sa plantes nourricières le Ptychotis saxifraga, littéralement « qui casse les pierres » ; ce qui en dit long sur les préférences écologiques de celle ci. Cette plante squelettique, bisannuelle stricte, ne vit en effet que dans les lieux régulièrement remués, et toute colonisation végétale, même faible, la fait disparaître irrémédiablement jusqu’au prochain bouleversement du sol.
A l’état naturel, les deux espèces, le papillon et sa plante hôte, sont étroitement liées aux pierriers mouvants de faible granulométrie et aux rivières dont les crues périodiques décapent des berges. L’extension des routes et des pistes de montagne leur a offert un nouveau milieu à coloniser, au point que l’essentiel des populations s’y concentre aujourd’hui.
Hors de ces lieux, pas de Ptychotis, donc pas d’Alexanor. La plante arrive, le papillon s’installe. Elle disparaît, victime des plantes voisines, le papillon cherche ailleurs meilleure fortune. Qu’un entomologiste l’observe et qu’il retourne quelques années plus tard au même endroit, il ne le trouvera plus et se perdra en vaines conjonctures sur cette disparition inexplicable : « pourtant, l’endroit n’a pas changé, les lavandes qu’il butinait sont toujours là et pareillement les chardons et les centaurées ». Mais la disparition d’une seule plante, la sienne, a suffit à l’éloigner du site.
Et c’est ainsi, tout naturellement, qu’est né le mythe de la rareté de l’Alexanor.
Il est à rapprocher de celui d’un papillon encore plus mythique, l’Hospiton (Papilio hospiton),
Si le décret de protection intégrale dont il jouit n’a en rien permis d’augmenter ses effectifs, les incendies qui ravagent périodiquement la Corse l’ont singulièrement favorisé. Certes, à chaque fois, au passage du feu, chenilles et
L’Alexanor, revenons à lui, subit des fluctuations brutales de ses effectifs. C’est l’effet de yoyo bien connu des généticiens des populations. Mais il s’adapte sans difficulté et ses capacités de bon voilier, même chez la femelle, lui permettent de coloniser à nouveau rapidement une région favorable en suivant les voies de pénétration naturelles que sont les rivières et les ravins, ou celles, artificielles, des chemins et des routes. J’en ai régulièrement suivi sur plusieurs kilomètres, en particulier ces femelles qu’on appelle « fondatrices » parce qu’elles fuient un biotope devenu invivable pour un autre plus propice à leur descendance.
Il ne parait pas inutile de donner s’étendre un peu sur la biologie de l’Alexanor.
Bien que l’espèce soit mal adaptée à la captivité, j’ai pu contrôler la fertilité moyenne qui s’établit autour de 80 œufs par femelle. On peut raisonnablement estimer que sur les trois semaines que dure sa vie, chacune aura pondu, dans son milieu, plus de 100 œufs. Il est bien évident que ce ne seront pas 100 papillons qui vont en sortir. Tout au long du développement, de multiples dangers le guettent, mais ni plus ni moins que pour les autres espèces
Les œufs, à peine pondus sur les inflorescences de Ptychotis, excitent la convoitise d’une espèce précise de Myrides (Hémiptères) qui les vident promptement. Il est assez remarquable que cette punaise ne se rencontre pas ailleurs que sur le Ptychotis. Dans certains endroits le « vidage » des œufs peut affecter près d’un quart de la ponte. C’est donc un prélèvement important. Mais la punaise n’est pas la seule à s’y intéresser. Elle partage le butin avec de minuscules hyménoptères Chalcidiens qui se développent en famille, bien à l’abri à l’intérieur de l’œuf.
Dès sa naissance la chenille doit affronter (sans succès) les toiles de minuscules araignées régulièrement tendues entre les inflorescences. On retrouve alors seulement leur peau, ratinée au milieu des fils de
Mais ce n’est pas tout. Deux hyménoptères explorent activement les touffes de Ptychotis. A peine une chenille est repérée qu’elle subit le coup mortel du dard de l’insecte. Mortel, oui, mais pas tout de suite. Le coup est imparable, le procédé sournois . La piqûre n’injecte aucun venin, seulement un œuf, un seul oeuf, et c’est là tout le drame.
L’œuf d’un de ces hyménoptères va éclore rapidement et la petite larve qui en sort grignote la chenille de l’intérieur. Quinze jours d’agapes et l’asticot est mature. Il achève de vider la chenille, sort de cette défroque devenue inutile et tisse un petit cocon blanc à bandes noires. A coté de lui la dépouille de la chenille pend misérablement.
La seconde espèce est encore plus vicieuse. Son œuf n’éclot pas. La chenille vit sa vie de chenille, se
Les chenilles grossissent rapidement et sont en 15 jours déjà au troisième ou quatrième stade. C’est alors, que se produit la pire des calamités pour une espèce : le cannibalisme. Qui pourrait penser que le gracieux papillon dont nous admirons le vol élégant, qui nous charme par la grâce avec laquelle il butine les fleurs de lavande et de chardon tout en battant des ailes, qui pourrait penser en effet qu’il fut dans sa jeunesse un ogre redoutable dévorant sans plus de façons ses frères et sœurs ?
Quelle
Qui a vu la maigreur du Ptychotis, son absence de feuilles, ses tiges filiformes, entrevoit la réponse : la plante est si chétive que dans la plupart des cas elle arrive au mieux à nourrir une chenille jusqu’à la
Ainsi, la nature, d’un comportement à priori néfaste, en a fait la condition de survie.
C’est pourquoi, au milieu de leur développement, les chenilles de l’Alexanor, par ailleurs très indolentes, sont prises d’une brusque fièvre ambulatoire et parcourent en tous sens les ramifications de leur plante, à la recherche de la concurrente potentielle qu’il faut à tout prix éliminer. Et comme la Nature est décidément très bien faite, ce providentiel repas protéiné procure à la chenille victorieuse un respectable accroissement de taille.
Encore quelques jours et la chenille, définitivement calmé de ses ardeurs cannibales, change encore de peau pour entrer dans le cinquième et dernier stade
A ce moment, la plante, passablement broutée, n’a plus d’inflorescences. Plus que jamais elle est squelettique; ses maigres rameaux n’ont guère que l’écorce de comestible, et la chenille devra se contenter de cette seule nourriture. Elle est d’ailleurs tellement programmée pour ce si maigre repas, que, même en présence de plantes entières, elle délaisse les fleurs au profit de l’écorce.
Toutefois ce régime lui réussit. En une semaine elle atteint sa taille maximale. Sa peau est tendue, elle est presque obèse. Pour la première fois de sa vie elle quitte la plante qui l’a nourrie ; le moment de la
Elle qui n’avait connu que le soleil, le vent, la lumière, les fuit à présent. Elle s’agite en tous sens à la recherche de quelque obscure cachette, où loin des regards, elle subira sa dernière transformation. Le choix de la retraite est d’importance : elle y restera 10 mois, immobile, minérale, tant sa
Mais, si méticuleux que soit le choix de la cachette, la
En dépit de tous ces dangers, l’espèce est vigoureuse et fait preuve d’une adaptabilité étonnante.
En conséquence, la stratégie de protection de l’Alexanor découle immédiatement de ce qui précède : Grattons périodiquement le bord des routes, ouvrons quelques chemins dans les pentes caillouteuses, remettons en services les petites carrières abandonnées et en deux ou trois ans les papillons seront de nouveau présents.
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